28/09/2018
Julien Bosc, De la poussière sur vos cils
juillet 2017
Non loin du village
Non loin d’un tas de briques
Elle et lui, comme autrefois.
Comme autrefois
(autrefois disons)
Tout a changé
Sauf le lieu — le terrible lieu.
Sauf leurs jeunesses — fauchées.
Sauf leurs noms — jetés au feu avant d’entrer dans le livre.
Sauf leurs voix.
— Mais est-ce la leur à chacun ?
Où est-ce celle, sourde, qui leur est commune et les sépare de telle sorte que c’est dans ce tout petit écart qu’ils s’aiment et parlent ?
(Parlent, disons)
Ô vitre brisée sur l’inénarrable
Julien Bosc, De la poussière sur vos cils, La tête à l’envers, 2015, p. 50-51.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Bosc Julien | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : julien bosc, de la poussière sur vos cils, couple, voix, changement | Facebook |
27/09/2018
Julien Bosc, Le verso des miroirs
juillet 2017
Julien Bosc
Julien Bosc (1964-2018) est brutalement décédé à la fin de la semaine dernière. Devenu spécialiste de l’art Lobi du Burkina Faso, il avait aménagé un espace consacré à la sculpture Lobi au Musée du Quai Branly. Installé dans la Creuse, il y a fondé en 2013 les éditions le phare du cousseix, du nom du village où il vivait. Il a édité, entre autres, des plaquettes de Françoise Clédat, Fabienne Courtade, Paul de Roux, Erwann Rougé, Ludovic Degroote, Franck Guyon, Antoine Emaz, Édith de la Héronnière, Étienne Faure, Jacques Josse… Poète, il a publié ces dernières années De la poussière sur vos cils (2015), Le Corps de la langue (2016), La Coupée (2017), Le Verso des miroirs (2018). C’est un homme de culture, généreux et attentif, qui disparaît.
Jacques Lèbre et Tristan Hordé
Poème qui ouvre son dernier livre, Le verso des miroirs
je vis aux lisières de la terre et la mer
le long d’une rivière défaite
un vertige
une bascule
une volée d’étourneaux dans la brume
les portes se referment
le vent bégaie
une étincelle allume la bougie
les livres forgent un rivage
deux premiers mots murmurent
Julien Bosc, Le verso des miroirs, Atelier de
Villemonge, 2018, p. 3.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Bosc Julien | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : julien bosc, le verso des miroirs, vivre, nature, mots | Facebook |
02/03/2017
Julien Bosc, La coupée
Garder son cap
n’est jamais varier que très lentement
ne jamais non plus aller plus vite qu’il ne faut
bien observer tout ce qui entoure sans se soucier de soi
aimer la lenteur à sn corps défendant si nécessaire
l’apparence du surplace quelquefois et s’il advient s’armer de patience
attendant sans tourments des jours meilleurs ils reviendront tôt ou tard
être là de nuit comme de jour et
en permanence à l’écoute de ce qui se dit ou chante
comme de tout semblerait se taire
de quelques règles de la vie en mer
— qui pourraient être du poète
Julien Bosc, La coupée, Potentille, 2017, p. 14.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : julien bosc, la coupée, en mer, lenteur, règle, poète | Facebook |
07/11/2016
Julien Bosc, Le corps de la langue (préface Bernard Noël)
elle a été devant lui
elle et lui de même taille
elle a attendu
lui a demandé de porter les mains sur ses seins
il n’a pas su
elle l’a fait pour lui
les prenant
et posant là
sur ses seins
les mains
elle a voulu savoir si il les aime
il a répondu
Julien Bosc, Le corps de la langue, préface de Bernard Noël,
Quidam éditeur, 2016, np.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : julien bosc, le corps de la langue, bernard noël, elle, lui, seins, mains | Facebook |
20/02/2016
Julien Bosc, De la poussière sur vos cils : recension
Les vers en exergue extraits de Dans la Conversation, recueil de Jacques Lèbre, orientent la lecture du livre : les corps gazés dans les camps de la mort ont été brûlés et « quelques-uns peuvent dire encore / [...] j’ai vu la fumée s’élever dans le ciel ». Le long ‘’poème prosé’’ de Julien Bosc n’est pas un récit, on y lit des « scories de l’innommable », les traces de ce que des témoins ont écrit, ce qui demeure pour nous de ce qu’ils ont vécu — « quelqu’un cette nuit écrit à partir d’une mémoire qui n’est pas la sienne ». Et d’abord un mur, mur de mémoire, « preuve » du passé et qui porte des noms : pour sa construction, sont énumérés tous les matériaux qui ont été utilisés au cours du temps en divers lieux pour bâtir un mur, marbre, pierre, banco, etc. Rien de tout cela ne convient, et à la question de sa matière une seule réponse : « — Telle la mémoire ? / — Tel le miroir sans tain de la souvenance oui. » Mais la parole sur ce qui fut semble impossible, il n’y aurait que « les mots creusés sur le vide », et cependant personne n’a, aujourd’hui, « le droit d’oublier ce que nous ne pouvons raconter ». C’est à partir de cette impossibilité qu’écrit Julien Bosc.
Ce qui peut être écrit l’est ici dans une forme particulière. Deux personnages, Lui et Elle, dialoguent dans divers lieux ; au début la nuit dans un pré, plus tard dans un hôpital pour la guérir de la folie née du souvenir de l’holocauste (« Elle perdit la raison »), puis dans un village « Entre la montagne et la mer ». Leurs échanges sont parfois accompagnés d’un commentaire et s’achèvent par un fragment en italique, introduit par le « Ô » du lyrisme et reprenant littéralement ou pour le sens ce qui précède. On pense à un livret d’opéra ou à une tragédie, avec dialogues, voix hors champ ou didascalies, intervention d’un chœur, et ce d’autant plus que les répliques sont toujours brèves, la syntaxe et le vocabulaire dépouillés, des fragments de dialogue répétés, la répétition se produisant aussi dans une réplique :
Jamais, jamais je n’ai pu, je n’ai pu jamais, jamais pu, jamais, mais malgré moi tout le temps, minute après minute, nuit et jour sans répit, ni rien, sans répit ni rien, ni rien pouvoir, rien pouvoir faire, rien pouvoir faire taire, à en devenir folle. Folle.
La folie naît du souvenir des camps de la mort, ceux de la ‘’solution finale’’, ce qu’explicite un seul échange :
— Votre nom est-il juif ?
— Oui.
— Êtes-vous juif ?
— Oui.
— Êtes-vous innocent ? Êtes-vous coupable ?
Réponse qui ne peut être entendue : une pierre « est-elle innocente ou est-elle coupable ? ».
La seule amorce de récit du livre est présentée comme un rêve par l’homme, elle décrit un lieu d’où l’on ne peut sortir, un couloir, où des chiens dévorent le visage et le nom, métaphore de l’identité à faire disparaître. Les images de destruction brutale abondent dès l’ouverture ; le dialogue évoque d’abord une porte et des fenêtres, pourtant il ne s’agit pas d’une maison, d’un refuge, la clef est perdue, une main broyée, les yeux aveugles, l’ordre même de la nature défait avec le « givre incandescent ». La poussière sur les cils ? non, ce sont les cendres qui retombent, et avant la mort ce sont les fils barbelés, la langue tranchée, le nom broyé, « les wagons de la mort et la folie dans les wagons ».
Que reste-t-il après « la nuit du retour sans retour » ? Le livre pourrait s’achever sur des questions comme celles-ci, « Quel témoin ? Le témoin du récit ? Quel récit ? » Il reste des noms, des noms inscrits sur un mur, dans la mémoire, et reste donc « le récit d’un mur ». Le hasard des publications a mis sur ma table le livre de Julien Bosc et un entretien de Philippe Beck, ‘’Dialogue de la poésie avec la prose testimoniale’’(1) ; j’en détache pour conclure quelques lignes, qui disent aussi la nécessité pour la poésie d’écrire après les témoins : « Les proses de témoignage (le réel prosant et prosé) en disent toujours plus. C’est l’excès qui demande la poème, selon moi, et en réponse aux vers de Celan : « Niemand / zeugt für den / Zeugen. » (« Gloire de cendres », dans Renverse du souffle). « Nul / ne témoigne pour le / témoin. » Le poète ni le romancier ne témoignant à la place du témoin, et cela se dit en vers libres ; le « témoin » est rejeté après le deuxième vers — le suspens est catégorique. Mais le témoin n’est pas seul et sa prose est précédée, parlée déjà ; elle doit être continuée. »
——————————————————————————————
1. ‘’Dialogue de la poésie avec la prose testimoniale’’, entretien de Philippe Beck avec Frédéric Detue, dans Europe, ‘’Témoigner en littérature’’, janvier-février 2016, p. 221-235. L’ensemble du numéro, dès l’introduction de Frédéric Detue et Charlotte Lacoste, est remarquable.
Julien Bosc, De la poussière sur vos cils, La tête à l'envers, 2015, 13, 50 €.
Cette note a été publiée dans Sitaudis le 5 février 2016.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, RECENSIONS | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : julien bosc, de la poussière sur vos cils, jacques lèbre, shoah, folie, mémoire, témoin, juif | Facebook |
12/10/2015
Julien Bosc, Sans lieu-dit ni demeure
Sans lieu-dit ni demeure
des neiges d’avril
écloses ou en bouton
de premières capucines
orange lie de vin ou jaune
un bouleau arqué par la neige à tout-va d’une seule nuit
d’inattrapables montmorency en haut du cerisier de huit ans
l’ombre adolescente et pas peu fière d’un jeune tilleul
un ciel bleu
un ténu vent silencieux
une conscience exsangue sans lieu-dit ni demeure
et rien
hormis le geai des chênes simulant la crécelle
le fond du puits
la corde
la gorge et le galet
Julien Bosc, Sans lieu-dit ni demeure, dans Rehauts, n° 36, automne-hiver 2015, p. 91.
Julien Bosc a publié récemment Maman est morte (Rehauts, 2012), Tout est tombé dans la mer (Approches, 2014)
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : julien bosc, sans lieu-dit ni demeure, arbres, neige, mélancolie | Facebook |